Il n'aura fallu qu'un bon repas et une petite cuite à Adrian, étudiant en architecture espagnol de 23 ans, pour trouver un logement à Paris : une colocation avec Robert Perrot, de plus de 40 ans son aîné. Ces huit dernières années, cet homme de 64 ans a vu défiler trente-trois colocataires du monde entier dans l'appartement de 50m² (loi Carrez) dont il est locataire, et qu'il s'est résolu à partager avec des jeunes.
Sous les toits de cet appartement haussmannien donnant sur une grosse artère parisienne, les trois chambres de bonne ont été aménagées et mises à disposition des étudiants, tandis que Robert s'est installé dans le salon. Le mobilier comme la literie ont été choisis avec soin et chaque chambre est équipée de penderies faites sur mesure. Les locataires paient 680 euros par mois, charges et nourriture comprises, sans caution ni durée de séjour minimum : un succès auprès des résidents.
La retraite approchant, Robert, célibataire et sans enfant, a senti que son train de vie était sur le point de changer radicalement. « On reste chez soi, plus de relation de travail, plus de relation syndicales. J’avais peur de me retrouver isolé de tout, en marge, de rester là-haut dans mon nid d’aigle », se souvient cet ancien brigadier chef, chargé de la sécurité à la Comédie française.
L’idée de se mettre en colocation avec des jeunes lui vient en regardant et lisant des reportages sur les difficultés de logement des 18-25 ans dans la capitale. « Comme j’avais de la place, je pouvais loger une ou deux personnes », s'était-il dit. L’expérience débute avec la venue d'un sapeur-pompier lassé de la vie en caserne. Il est rapidement rejoint par un étudiant en informatique choisi en particulier pour ses compétences. « C’était un garçon sensationnel : quand on avait un problème d’informatique, on avait un "professeur" sur place », se souvient Robert.
Une fenêtre sur le monde
Si les talents de certains s’avèrent utiles à la colocation, la présence de ces jeunes est surtout l'occasion de faire de vraies rencontres. « Je me suis pointé et c’était incroyable, il fait à manger, il fait tout et il crée un réseau entre jeunes étudiants et jeunes actifs », raconte Quentin Ohl, ancien résident marqué par cette expérience.
Dans le but de faciliter l’accès à son logement, Robert Perrot ne fixe aucune règle de durée de séjour. « Trouver une colocation sur de courte durée est quasiment impossible », constate-t-il. Les séjours vont de 2 ans pour le plus long à 4 jours pour le plus court. Ce dernier était un cas particulier : l’ami d’un résident cherchait un appartement afin de s’éloigner quelques temps de sa copine avec laquelle il habitait. La colocation a donc ouvert ses portes au jeune homme et à ses valises, lui laissant le temps dont il avait besoin.
Pour Robert Perrot, la jeunesse est une fenêtre sur le monde. « Sans cette coloc, je serais en décalage », affirme-t-il. Le retraité apporte de son côté son ancienneté et sa connaissance des milieux professionnels aux résidents. Il se définit comme « un trait d’union entre le départ du foyer familial et les premiers pas vers l'indépendance, mais aussi entre l’école et la vie active ». Si besoin, il met même ses costumes et cravates à disposition de ces futurs employés.
Un casting bien arrosé
La bonne entente règne dans l’appartement, les blagues fusent, chacun taquine l’autre mais toujours dans le plus grand respect. Si le courant passe si bien, c’est grâce au caractère jovial et généreux de Robert. En bon « troisième grand père », il aime discuter et raconter des histoires. « Parfois, il lui arrive de radoter mais ce n'est pas grave », chuchote en souriant Adrian.
« Rob », comme le surnomment les jeunes, tient à cette ambiance conviviale. « Ma hantise serait d'avoir des colocataires qui se parlent à peine, qui n’ont pas d’affinités entre eux », confie-t-il. C’est pourquoi chaque « candidature » est rigoureusement étudiée, à travers des échanges de mails ou de correspondance sur Facebook. Jonathan Leonardo, l'un des occupants actuels, était tellement intéressé qu’il a envoyé une vraie lettre de motivation. Il a été accepté très rapidement autour d’un repas rituel, dernière étape avant la validation d’un candidat. « On le convoque et on l’invite à casser la croûte », déclare Robert. Adrian, étudiant espagnol en architecture de 23 ans, ne peut s’empêcher d’ajouter, non sans malice : « Généralement, le dîner est bien arrosé. » Pour ce retraité, un repas convivial vaut mieux qu’« une sélection style Star Académie où les gens viennent défiler, se présenter… Je trouve ça très violent », grimace-t-il.
Chacun est libre d’inviter petite copine ou petit copain, parents ou amis, du moment que tout se fait dans le respect de l’autre. « De quel droit pourrais-je interdire aux autres de recevoir des amis, ou leur copine ? », questionne Robert. La petite amie d’Adrian doit d’ailleurs venir leur rendre visite sous peu : « Elle aimerait bien que tu lui prépares un taboulé aux crevettes », glisse Adrian. Ce à quoi Robert répond, avec sa répartie coutumière : « Elles passent même leur commande avant de venir ! »
Loin de se tenir à l’écart, le sexagénaire participe aux soirées et s’occupe même des préparatifs lorsque ses colocataires reçoivent du monde. Mais il refuse catégoriquement de les suivre en boite de nuit, résistant à leurs invitations régulières : « Les boites, ce n’est plus de mon âge ! ».
Ce lien entre générations ne semble cependant pas évident pour tout le monde. Lors d’une visite des propriétaires de l’appartement, l’un d’eux a demandé si les jeunes ne faisaient pas trop de bruit. Ce à quoi « Rob » a répondu avec philosophie : « Ils sont très sages mes jeunes, ils sont aussi sages que vous lorsque vous aviez 25 ans. »
Il existe tout de même une règle établie par Robert après mûre réflexion : la colocation n’est pas mixte. Il a mené enquête autour de lui et sur Internet, et en a conclu que la cohabitation entre filles et garçons pouvait être compliquée.
Alexandre de Pommereau (Monde Académie)